Le dernier réacteur nucléaire japonais devrait être arrêté début mai. L’absence de nucléaire a pu être compensée, mais les solutions sont temporaires.
Le printemps n’est pas encore arrivé au Japon et les nuits restent fraîches. Dans la grande maison de la famille Sawada située dans la banlieue résidentielle de Sendai, capitale de la préfecture de Myagi au nord-est du Japon, seul le grand salon bénéficie du chauffage. Les éclairages tamisent ce grand espace au cœur duquel trône la cuisine à l’américaine. « Tout l’hiver nous avons fait très attention à notre consommation d’électricité »,  explique Ryoko la maman, assistante maternelle dans une crèche de la ville. Les hivers rigoureux sous ces latitudes nord, touchées par le tsunami de 2011, n’ont pas empêché les Japonais de faire de sérieuses économies d’énergie. « Un seul radiateur fonctionne ici et dans la cuisine, je n’utilise plus aveuglément les appareils électroménagers comme par le passé », ajoute Ryoko en montrant une cuisine ultra-équipée de tous les gadgets possibles.« L’isolation de notre maison est très bonne,  assure quant à lui Toshiro le papa,nous pouvons ainsi économiser beaucoup d’électricité et de gaz. »  

Couper le chauffage pour économiser l’énergie

Dans les chambres du premier étage, les chauffages sont restés coupés tout l’hiver.« On se prépare une petite bouillotte placée sous la couette,  explique Miwa, 29 ans, leur fille, professeur dans un lycée de la banlieue sud, et on s’habitue. Après la catastrophe du 12 mars 2011, tout le monde a fait des efforts d’économie d’énergie car tous les réacteurs nucléaires sont pratiquement arrêtés depuis l’été dernier. Une des choses que nous avons apprises à l’école, depuis notre enfance, c’est que le Japon n’a aucune ressource naturelle. Le gouvernement nous a demandé d’être économes et chacun fait le maximum pour que l’énergie bénéficie aux entreprises afin qu’elles puissent continuer à produire. »  
Alors que le dernier réacteur nucléaire (sur les 54 que compte le pays) du Japon, sur l’île d’Hokkaido, devait être arrêté à partir du 5 mai pour une session d’entretien régulier, les 130 millions d’habitants ont appliqué de façon très disciplinée les appels du gouvernement à réduire sa consommation d’énergie. À la mairie de Sendai par exemple, comme dans tous les bureaux de l’administration du Japon, des consignes nouvelles ont été données : toutes les lumières doivent être éteintes avant de quitter les bureaux le soir, une personne est chargée de vérifier. Les bureaux qui ouvrent à 9 heures le matin ne seront plus chauffés qu’à partir de 8 h 30, et le soir, le chauffage sera éteint à 16 h 30, une demi-heure avant la fermeture. 
Dans les petits restaurants de la ville, les mêmes consignes sont mises en œuvre :« Nous plaçons les clients dans des espaces bien définis afin de ne pas chauffer les autres salles si l’affluence est moindre »,  explique une serveuse, ajoutant que le patron avait tenu « à ce que les  éclairages soient diminués du tiers durant la journée ».  Dans sa petite entreprise de fabrication de circuits électriques qui a échappé au tsunami dans la banlieue de Sendai, Yoshiro a lui aussi réduit ses dépenses énergétiques. « En faisant un peu d’effort, nous avons réussi à payer 30 % de moins de frais d’électricité »,  assure-t-il.

Forte demande sur les énergies fossiles

À elles seules toutefois, les économies d’énergie n’ont pas compensé la demande, largement comblée par une intensification de l’utilisation des installations thermiques dont certaines (sur les 93 centrales thermiques du pays) ont été redémarrées. Cela a nécessité une très forte hausse des importations de sources d’énergie fossile (pétrole, gaz, charbon, néfastes pour les taux de CO2 libérés dans l’atmosphère). « Nous n’avons pas vécu de pénurie d’énergie depuis l’année dernière,  assure Hideo Furukawa, écrivain très sensibilisé par l’environnement, et nous allons vivre un été 2012 avec de nouvelles restrictions sans pour autant retomber dans le Moyen Âge. »  Les étés étouffants au Japon, qui déclenchent tous les climatiseurs de juin à septembre, font grimper les pics de consommation. Les Japonais s’attendent à revivre dans un environnement « moins frais » que par le passé.
Jeune employé de bureau à Tokyo, Takashi se prépare à « laisser tomber la veste et la cravate »  durant l’été. « La climatisation ne fonctionnera pas à plein régime,  sourit-il, mais nous ne serons plus obligés de porter la cravate. »  Les stations de métro et de train ne seront pas climatisées, et, dans les commerces, une partie des appareils de refroidissement de l’air sera coupée. La température des distributeurs de boissons, qui sont légion au Japon, sera elle aussi régulée, tout comme leur éclairage de nuit. De même, les industries du bâtiment proposent maintenant des matériaux très performants sur le plan de l’isolation et l’intégration de panneaux solaires dans les constructions d’habitations. 

Un Japon plus écologique

À la télévision, un nouveau genre de publicité est en train d’apparaître pour tous les nouveaux produits électroménagers comme les aspirateurs, lave-linge, lave-vaisselle, séchoir, écran plat… « moins gourmands en énergie », « produits verts », « respectueux de la nature ».  Une sensibilité écologique est en train de prendre une nouvelle dimension. Et Wakao Hanaoka, militant de Greenpeace Japon, défend pour sa part l’idée que « le Japon peut se passer du nucléaire ».  Une affirmation loin de faire l’unanimité même si les enquêtes d’opinion montrent aussi un rejet du nucléaire.
Pour Hiedo Furukawa, l’écrivain qui, avec une poignée d’autres intellectuels, appellent à la fin du nucléaire, « il faut dépasser les bons sentiments et regarder la réalité en face. Sommes-nous prêts, nous, Japonais, à sacrifier notre puissante économie et notre niveau de vie au profit d’une dénucléarisation aveugle ? Je ne le pense pas. »  Et de suggérer une accélération de la recherche dans le secteur des énergies alternatives. Et on peut compter sur le « génie japonais » pour trouver des solutions alternatives au nucléaire.
Ainsi l’interruption totale de tous les réacteurs nucléaires japonais ne sera probablement que temporaire, compte tenu de la soif d’énergie du pays, estime Shinichiro Takiguchi, directeur de l’Institut de la recherche du Japon. « Le consensus général pour le long terme est de réduire la proportion du nucléaire dans la production d’électricité, mais pas de la supprimer »,  précise-t-il. « Il est plus raisonnable d’augmenter l’utilisation des autres sources d’énergie et de réduire progressivement la part nucléaire tout en prenant des mesures de sécurité supplémentaires. »  
Le traumatisme de la catastrophe de Fukushima demeure toutefois fortement ancré dans les esprits. Pour preuve, une volée de critiques a accueilli il y a dix jours le projet du gouvernement japonais de redémarrer deux réacteurs remplissant les conditions posées à toute relance dans la préfecture de Fukui, à l’ouest du Japon. Le gouvernement avait invoqué le risque de pénurie de courant durant l’été. Un autre argument pourra être avancé par le gouvernement pour briser les résistances : une augmentation très forte des tarifs d’électricité (20 %) dans les mois à venir…