- by Jason Wiels
- Sept. 27, 2013
- original
En décembre 2011, le gouvernement japonais soutenait que la situation était stabilisée à la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, victime d'un tremblement de terre doublé d'un tsunami neuf mois plus tôt. Pourtant, deux ans et demi après la catastrophe, il n'en est toujours rien. Il ne se passe pas un mois sans un nouvel incident. Enfin... quand l'information filtre hors de la zone de quarantaine.
Car il est extrêmement difficile de savoir ce qui se passe sur place, les 3 000 employés - ou "liquidateurs" - étant tenus contractuellement à un devoir de réserve. Mais après des mois de non-dits et de mensonges, le mur de l'opacité s'est fissuré. Trois d'entre eux ont témoigné anonymement en avril dernier dans l'hebdomadaire Shukan Spa ! En France, Courrier International s'est fait l'écho de cet article, traduit dans la langue de Molière, dans son édition du 20 septembre (lien payant). Des propos inédits, qui en disent long sur l'ampleur de la catastrophe toujours en cours au Japon.
"Chauffeurs de bus ou poissonniers"
Ce qui frappe, d'abord, c'est la non-qualification des ouvriers envoyés sur place : "de la chair à canon", se plaignent-ils. Car si le bon sens voudrait que des techniciens hautement qualifiés s'occupent du sinistre, c'est tout le contraire qui se produit. "Ceux qui opèrent sur le site étaient auparavant chauffeurs de bus ou poissonniers", rapporte Gobo. Sans emploi depuis le ravage de leur région, ils se sont tournés vers Tepco, l'opérateur de la centrale, qui avait besoin de bras.
En tout, près de 20 000 travailleurs ont défilé sur le site. Près de 1 000 ont été exposés à des radiations supérieures à cinquante fois la dose admissible en France. "La faiblesse des rémunérations, les risques sanitaires et la précarité de l'emploi sont autant de raisons qui éloignent les ouvriers qualifiés. J'ai vu des équipes constituées de débutants, incapables de serrer ne serait-ce qu'un boulon !" enrage un autre employé. Résultat, dans les lieux très exposés, c'est parfois le chef d'équipe, seul à même de mener les opérations à bien, qui travaille... pendant que ses collègues observent.
Irradiés, humiliés, mal payés
Tout aussi grave, les témoins décrivent comment les entreprises employées par Tepco sous-traitent elles-mêmes au quatrième voire au cinquième degré les tâches de réparation ou de démantèlement qui leur sont commandées. Une fois leurs marges déduites, les opérations sont donc menées au rabais, et les techniciens ne se sentent pas respectés : leurs vêtements de travail sont "froissés, tachés", voire "malodorants". "Les casquettes en coton ont tellement rétréci au lavage qu'on ne peut plus les porter", dénonce l'un d'entre eux.
Et alors qu'il faudrait utiliser des canalisations en fer, plus solides, on se contente d'en poser en plastique. Du "rafistolage", s'écrient-ils. Quant aux robots envoyés sur place, leurs processeurs grillent les uns après les autres. Finalement, c'est encore et toujours un humain qui va en première ligne, en dernier ressort.
On pourrait s'attendre à ce que ce travail aux portes de l'enfer - la température à l'intérieur de certains bâtiments atteints parfois 40 °C, avec combinaison intégrale sur soi - soit au moins correctement payé... Il n'en est rien : les techniciens touchent à peine l'équivalent de notre SMIC. Tous sont unanimes : si les choses ne changent pas (plus d'investissements, de vraies formations), il ne faudra pas s'étonner que "des accidents se reproduisent". Encore.
Lire la totalité de ces incroyables témoignages sur le site de Courrier International