Une délégation d'élus venus de communes françaises s'est rendue à proximité de la centrale japonaise de Fukushima pour observer les conséquences de l'accident - ici, le 25 janvier 2012.AP/
Une vraie carte postale qui séduit Yves Dauge comme les sept autres élus français venus quelques jours dans ce département du nord-est du Japon. Avec un objectif : "Voir comment les autorités locales japonaises gèrent la crise nucléaire et ses conséquences." Partant du constat que l'accident de mars 2011 à la centrale a marqué les esprits au Japon comme en France, Cités unies, organisation française de promotion des collectivités locales à l'international, et son équivalent japonais CLAIR ont organisé, du 12 au 14 janvier, ce voyage réservé à des élus de collectivités voisines de sites nucléaires, La Hague (Manche), Chinon ou encore Fessenheim (Haut-Rhin).
Quelques jours pour s' dans un territoire marqué par le séisme et le tsunami du 11 mars 2011, et surtout par le pire accident nucléaire depuis Tchernobyl. Un drame d'une ampleur telle que Bertrand Gallet, directeur général de Cités unies, regrette que "les élus n'aient pas été plus nombreux à à l'appel, tant ce voyage est instructif".
Une ville évacuée dans le périmètre d'exclusion de 20 km autour de la centrale.REUTERS/STRINGER
Instructif et bouleversant. "Pour nous, ajoute Yves Dauge, ce voyage est un cas concret. Tout ce qui nous a été dit me perturbe beaucoup. A l', qui va s' ici ? Quelle entreprise va ?" Car, au fil de ces journées à l'un des plus vastes départements japonais, à la zone interdite des 20 kilomètres établie autour de la centrale et à élus locaux et habitants, les visiteurs ont pris la mesure réelle d'un drame à l'origine de l'évacuation de plus de 100 000 habitants, d'une crise qui pourrait quarante ans et d'un coût évalué à 1 151 milliards de yens (11,4 milliards d'euros). Le tout sans l'impact sur la santé de milliers de personnes, qui devrait ressenti d'ici quelques années et le problème durable de la contamination radioactive.
Une situation qui n'incite guère à l'optimisme. L'adjointe au maire de Strasbourg,, pour qui les paysages de Fukushima évoquent les forêts des Vosges, déplore que l'environnement soit "aujourd'hui dangereux, interdit" par la présence massive des dépôts radioactifs. Ils atteignent parfois de tels niveaux qu'ils font les dosimètres amenés par la délégation.
Cette pollution radioactive a été baptisée d'"ennemi invisible" par , le maire d'Iitate, village qui avait misé sur l'agriculture bio et qui se situe à l'intérieur des terres, à une quarantaine de kilomètres au nord-ouest de la centrale. Les 6 000 habitants ont dû l', car il a eu la malchance de se sur la route du nuage hautement radioactif émis dans les premiers jours de la crise. "Nous avons été victimes d'un caprice du vent", regrette Norio Kanno, rencontré à Iino, dans la banlieue de la ville de Fukushima, où se trouve désormais sa mairie.
Son émouvant témoignage a mis en évidence l'enjeu complexe de la décontamination, qui empêche aujourd'hui d' le retour chez eux des habitants. "Un jour, juge Jacques Maugein, président de la commission locale d'information (CLI) sur le nucléaire en Gironde, le gouvernement japonais devra le courage de que la décontamination est une épreuve du temps. Il faudra au moins quarante ans pour un retour à la normale."
De fait, a, par ailleurs, expliqué , responsable de l'ONG On the Road et membre du secrétariat gouvernemental pour la reconstruction, "les efforts de décontamination ne donnent pas grand-chose". Le vent et la pluie déplacent les dépôts radioactifs accumulés dans les forêts et sur les montagnes. Et la centrale accidentée continue de du césium, à 70 millions de becquerels par heure. Si bien qu'une zone "nettoyée" est à nouveau polluée en quelques jours.
Outre le problème de la contamination, qui pousse au départ des milliers d'habitants, le plus souvent jeunes, les élus français ont pu le profond sentiment d'abandon ressenti dans les jours qui ont suivi l'accident par les responsables rencontrés. Katsunobu Sakurai, maire de Minami-Soma, ville côtière de 71 000 habitants, victime du tsunami et dont une partie se trouve dans la zone des 20 kilomètres, a évoqué "l'absence totale d'informations, de consignes, de ravitaillement. J'ai dû tout seul, notamment en matière d'évacuation". Réaction de Jacques Maugein : "En France, c'est le préfet qui a normalement l'autorité pour une évacuation. Que devraient les élus s'il ne la décide pas ?"
A la centrale aussi, les responsables se sont sentis bien seuls au moment du drame. Ce déficit de communication avec le siège tokyoïte de Tepco (compagnie d'électricité de Tokyo, propriétaire et opérateur de la centrale) fait à qu'aujourd'hui, en pareille situation, "EDF se serait comportée comme Tepco".
Triste constat qui en amène un autre : "Les Japonais vivaient avec l'idée du zéro danger du nucléaire, note Françoise Buffet. Cet accident leur a prouvé l'inverse."Elle se dit profondément marquée par le témoignage du maire d'Iitate. "Pour lui, le traumatisme, le choc violent du tsunami paraissent préférables au mal invisible et sans fin de la radioactivité. Car l'important dans ce genre de situation est de , ce que la nature du mal radioactif ne permet pas."
Même les plus attachés au nucléaire paraissent ébranlés. Michel Laurent, ancien d'Areva, maire de Beaumont-Hague (Manche), commune voisine du chantier de l'EPR et où se trouve le centre de traitements des déchets de la Hague, clame l'importance de "toujours à l'impensable quand on s'intéresse aux risques d'accident". "Ce drame confirme l'importance de ne pas d'économies sur la sécurité et de les exploitants sous le statut de sociétés nationales."
Michel Laurent souhaite également des réponses sur les indemnisations. Pierre Gaillard, vice-président de la CLI auprès de la centrale de Golfech (Tarn-et-Garonne), veut l'assureur d'EDF, ce qu'il n'a pas encore réussi à malgré plusieurs demandes. Il s'interroge également sur le déroulement des exercices réalisés tous les deux ans en France. "Est-ce que l'on peut des chauffeurs de bus, des gendarmes ou des pompiers d' dans des milieux devenus aussi hostiles ? Avons-nous les moyens de leur sécurité ?"
Certaines craintes s'expriment. Jacques Maugein rappelle que la centrale du Blayais (Gironde) a été inondée en 1999 et peut toujours l'. "Que peuvent les protections mises en place contre la puissance de l'eau ?" Evoquant l'ancienneté de la centrale de Fessenheim et le fait qu'elle se trouve sous la menace des eaux du canal d'Alsace, Françoise Buffet rappelle que Strasbourg, comme plusieurs villes allemandes et suisses, en a demandé la fermeture, en vain.
Et, finalement, la question porte sur l' du nucléaire, une technologie dont, constate Françoise Buffet, "nous ne maîtrisons pas l'ensemble du processus et qui peut des conséquences désastreuses". Pour Yves Dauge, c'est clair, aujourd'hui "il faut la nécessité de du nucléaire". "Cela doit accompagné d'une réflexion sur la stratégie énergétique, précise-t-il. Mais c'est d'autant plus fondamental que le nucléaire devrait de plus en plus cher."
Il ne croyait pas si bien , comme l'a démontré le rapport de la Cour des comptes sur "Les coûts de la filière électronucléaire". Dévoilé le 31 janvier, il soulignait les "grandes incertitudes" pesant sur ce secteur.
Philippe Mesmer Article paru dans l'édition du 02.02.12