lundi 14 mai 2012

"A Fukushima, ce sont les femmes qui se mobilisent"


"A Fukushima, ce sont les femmes qui se mobilisent"


Des parents réunis à Tokyo le 12 juillet 2011 lors d’un meeting pour protéger les enfants des radiations / ©KO SASAKI/The New York Times-REDUX-REA
« De Tchernobyl à Fukushima », c’est le thème du forum sur la radioprotection qui se tiendra à Genève, en Suisse, les 12 et 13 mai. Organisé par l’IndependantWHO, un mouvement citoyen créé par un collectif d’associations, il rassemblera des scientifiques mais aussi de simples citoyens venus du monde entier, et en particulier de Fukushima, au Japon.
Interview de Kolin Kobayashi, journaliste japonais, correspondant du Days Japan en France.
A-t-on déjà une idée de l’impact de Fukushima sur la santé des Japonais ?
Il va y avoir de gros problèmes, c’est évident. Un organisme français indépendant de mesures, l’Acro, a fait des analyses d’urine parmi les habitants : tous les échantillons prélevés chez les enfants sont contaminés et une majorité de ceux des adultes le sont également. Même à 250 kms de la centrale, des enfants sont touchés. C’est une contamination qui dure, qui est inquiétante et qui se traduit par des saignements de nez, des diarrhées, des vomissements, etc. chez les petits. Des cas de morts subites chez les adultes ont aussi été rapportés, y compris à Tokyo.
Mais il est difficile d’établir le lien de causalité avec la catastrophe car les médecins ne disent pas forcément la vérité. Une jeune femme de Fukushima s’est réfugiée à Tokyo alors qu’elle était enceinte. A l’échographie, son gynécologue a vu que son bébé souffrait d’une grave malformation. Il lui a conseillé d’avorter, ce qu’elle a fait, mais il s’est bien gardé de lui parler de la radioactivité.
Les autorités refusent de faire une enquête épidémiologique. Au début, elles ont voulu rassurer la population en affirmant que la pollution radioactive ne correspondait qu’à 10% de celle rejetée à Tchernobyl. On sait aujourd’hui qu’elle est similaire, certains scientifiques estiment même qu’elle pourrait être plus importante. Or, avant Tchernobyl, 80% des enfants ukrainiens étaient en bonne santé, ils ne sont plus que 25% aujourd’hui. Il n y a pas que des cancers, ils ont une baisse de l’immunité, des malformations, des problèmes cardiaques... On peut s’attendre à quelque chose de cet ordre-là à Fukushima.
Les citoyens sont-ils très mobilisés ?
Le gouvernement n’ayant pas su bien gérer la catastrophe et protéger la population, des laboratoires citoyens de mesures de la radioactivité se sont créés. En moins d’un an, environ mille ont vu le jour, surtout à la demande de parents qui sont organisés en réseau pour évaluer la contamination de la nourriture, notamment dans les cantines scolaires et les supermarchés. La population essaie ne plus consommer les produits de la région de Fukushima et d’acheter ceux qui viennent de l’ouest du Japon, mais on mange encore des aliments contaminés car les mesures sont très partielles et les produits qui viennent d’ailleurs sont chers.
Un réseau national de pédiatres qui travaille avec les Ong s’est également constitué il y a quelques mois. Mais à part quelques activistes, ce sont principalement les femmes qui se mobilisent. Chaque vendredi, depuis l’automne, elles se rassemblent devant le ministère de l’Economie et de l’Industrie et devant la résidence du Premier ministre pour manifester. Dans les familles, ce sont elles aussi qui prennent l’initiative de quitter la région de Fukushima et de déménager puisque seules les personnes habitant dans un périmètre de 20 kms autour de la centrale ont été évacuées.
Cela créé parfois des divorces, mais les femmes sont conscientes des dangers de la contamination pour leurs enfants, elles sont inquiètes pour eux. Les hommes, eux, ont peur de perdre leur travail et de ne pas en retrouver ailleurs. Le 11 mars dernier, un an après le tsunami, 16 000 personnes ont manifesté à Fukushima, 20 000 à Tokyo. Cela peut paraître faible comparé à ce qui se passe en Europe, néanmoins, les sondages laissent apparaître que l’opinion publique japonaise est plutôt majoritairement contre le redémarrage des centrales au Japon.
Justement, après l’arrêt du dernier réacteur en activité, le 5 mai dernier, est-ce la fin du nucléaire au Japon ?
C’est difficile à savoir car la position du gouvernement est vague et ambiguë : le Premier ministre parle d’un redémarrage des réacteurs l’année prochaine, d’autres estiment que ce n’est pas possible, d’autant que trois grands séismes sont prévus près du Mont Fuji dans les quatre ans à venir. Ce serait de la folie de prendre ce risque. Mais tout est possible : il ne faut pas oublier que le Japon s’est engagé dans le nucléaire pour garder la maîtrise de la bombe atomique et qu’il dispose de 45 tonnes de plutonium prêt à être converti.
On ne sait pas non plus jusqu’à quel point les citoyens vont être capables de résister au lobby nucléaire. On est dans un contexte de dépression en ce moment. A Fukushima, les agriculteurs ont été touchés de plein fouet par l’explosion du réacteur, ils ont tout perdu, certains se sont suicidés, d’autres sont partis. Quant aux vieilles personnes qui ont dû quitter leur domicile, elles ont perdu espoir, elles ne supportent plus leur vie de réfugié. A Tokyo, par exemple, les gens ne veulent plus parler de Fukushima. C’est trop douloureux et ils l’impression que c’est sans issue.
Les Japonnais ont été très mobilisés contre le nucléaire jusqu’à la fin des années 60. Mais la répression, notamment à travers l’armée d’occupation américaine, a été telle qu’ils ne le sont plus tellement aujourd’hui. Pendant sept ans, les témoignages des irradiés de Nagasaki et d’Hiroshima ont été interdits. Cela a généré un affaiblissement des luttes sociales d’autant qu’à chaque fois que les Japonnais ont revendiqué, ils ont perdu. Ils ont fini par intégrer un sentiment de défaite qui explique que la jeune génération ne se sent pas très concernée, très peu d’étudiants se mobilisent. Ça bouge quand même doucement : pour la première fois, le parti communiste japonais s’est prononcé contre le nucléaire alors qu’il considérait jusque là que c’était un progrès.

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