Fukushima : Faut-il craindre une catastrophe à la piscine du réacteur 4 ?
Le Monde.fr | 08.09.2012 à 11h43 • Mis à jour le 08.09.2012 à 14h27
Par Audrey Garric
"Désastre planétaire en puissance", "incendie radiologique catastrophique", "radioactivité équivalente à 5 000 fois la bombe nucléaire d'Hiroshima". Depuis quelques mois, les médias agitent le spectre d'une nouvelle catastrophe à la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi au Japon, qui s'avèrerait bien pire que celle du 11 mars 2011. En cause : la piscine du réacteur 4, dans laquelle sont entreposées 1 535 barres de combustibles, soit 264 tonnes de matières fissiles hautement radioactives.
Depuis un an et demi, ce cube en béton de onze mètres de profondeur repose en effet à trente mètres du sol, sur une structure gravement endommagée et fragilisée par une explosion d'hydrogène survenue quatre jours après le séisme et le tsunami qui ont ravagé le site. Sous sept mètres d'eau, les barres de combustibles, déchargées du cœur du réacteur à la fin 2010 pour maintenance, doivent être constamment refroidies afin d'éviter leur fusion et donc la libération d'immenses quantités d'éléments radioactifs.
"Les risques d'une telle situation sont incommensurables. Si, à la suite d'un typhon (dont la saison commence fin août) ou d'un nouveau tremblement de terre, la piscine venait à se vider ou à s'écrouler, la catastrophe qui en résulterait serait probablement sans précédent dans l'histoire de l'humanité", s'alarme le Nouvel Observateur dans une enquête publiée le 23 août.
"La piscine du réacteur 4 (...) menace l'humanité d'une catastrophe pire encore que celle de Tchernobyl", renchérit Jean-Jacques Delfour, enseignant de culture générale à l'université Toulouse 1 dans une tribune au Monde.fr mise en ligne vendredi 7 septembre.
Lire le point de vue : La dangereuse imposture nucléaire
UN COMBUSTIBLE MOINS RADIOACTIF
Pourquoi ce regain d'inquiétude, 18 mois après la catastrophe nucléaire ? Le risque de voir la radioactivité de ces combustibles se répandre dans l'environnement a-t-il augmenté ? "Cette question a toujours été un point sensible, régulièrement soulevé. Mais il n'y a eu aucun nouvel événement qui aggraverait la situation, assure Thierry Charles, directeur de la sûreté à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Au contraire même, sans être encore soldé, l'état de la piscine s'améliore."
Si le risque a diminué, c'est que la nature du combustible, qui avait atteint un pic de chaleur et de radioactivité au moment de l'accident nucléaire, a évolué depuis : parmi les radioéléments les plus dangereux qu'il contient, l'iode 131, dont la demi-période – c'est-à-dire la durée qu'il lui faut pour voir sa radioactivité décroître de moitié – est de 8 jours, a presque totalement disparu. Reste essentiellement du césium 137, dont la demi-période est de 30 ans, mais dont l'activité est beaucoup plus faible. Le combustible a par ailleurs considérablement refroidi, sa puissance thermique décroissant naturellement, à raison d'un facteur dix par an.
Le bâtiment comportant la piscine a en outre été renforcé. "Tepco a consolidé le radier, la base de la structure, en installant des poteaux métalliques remplis de béton, assure Thierry Charles. Selon les calculs de résistance effectués par les ingénieurs japonais, il faudrait maintenant un séisme extrêmement puissant pour la dégrader et entraîner la mise à l'air libre des combustibles."
DAVANTAGE DE TEMPS D'INTERVENTION
Reste qu'une nouvelle catastrophe naturelle extrême n'est pas impossible. Dans le pire des scénarios, qui verrait les combustibles ne plus être refroidis, "la température augmenterait considérablement dans la piscine, entraînant la fonte des gaines de zirconium. Le métal fondu, en réagissant avec l'eau, donnerait de l'hydrogène qui, au contact de l'oxygène de l'air, pourrait provoquer une forte explosion", prévient Jean-Louis Basdevant, physicien et auteur de "Maîtriser le nucléaire : que sait-on et que peut-on faire après Fukushima ?". "Les radioéléments se répandraient alors dans l'atmosphère sous la forme d'un nuage, dans des quantités dix fois supérieures à celles de Tchernobyl. Dans le même temps, les combustibles en fusion, formant un magma radioactif, pourraient traverser la cuve du réacteur et polluer les sols et nappes phréatiques à des centaines de kilomètres à la ronde", poursuit l'expert.
Mais cette hypothèse des plus extrêmes impliquerait que les ouvriers de la centrale ne puissent plus accéder au site ni agir d'une quelconque façon, en raison d'une radioactivité trop importante. "C'est très peu probable, même si ce n'est pas impossible. En réalité, il y aurait davantage de probabilités que les ouvriers puissent intervenir dans la centrale, comme ce fut le cas en mars 2011, estime Thierry Charles. Mais contrairement à l'an dernier, où la température de l'eau pouvait augmenter d'un degré par seconde, en raison de la forte puissance thermique des combustibles, il faudrait aujourd'hui plusieurs jours pour que l'eau commence à bouillir. Cela laisserait un peu de temps aux équipes pour remettre de l'eau dans la piscine ou arroser les combustibles par des moyens de fortune. La fusion des combustibles reste donc très peu probable."
DÉCHARGEMENT DES COMBUSTIBLES
Afin d'éviter qu'une telle catastrophe puisse survenir, les équipes japonaises travaillent au déchargement des combustibles de la piscine. Entre septembre 2011 et juillet 2012, le toit du bâtiment a tout d'abord été nettoyé de ses débris – un amoncellement de poutres, poteaux et tuyaux – permettant une intervention au-dessus du bassin. "A cette époque, la piscine a été protégée par une tôle pour éviter que des morceaux ne tombent à l'intérieur", explique Thierry Charles.
"La simple bâche de plastique blanche", dont parlait le Nouvel Observateur pour dénoncer la vulnérabilité de l'installation japonaise était ainsi en réalité une erreur. Sur la photo publiée par le magazine, le rond blanc entoure en effet un trou dans le bâtiment, alors que la piscine, intègre, elle, se situe sur la droite, couverte par une tôle métallique.
"Les Japonais sont maintenant en train de construire une super-structure, qui sera disposée au-dessus de la piscine et permettra de décharger les combustibles à l'aide d'un emballage de transport évitant tout débit de dose pénalisant, explique Thierry Charles. Ils seront entreposés dans une autre piscine, au sol cette fois-ci en attendant de trouver un centre de stockage." L'évacuation des 1 535 barres devrait débuter avant la fin 2013 et durer un à deux ans, selon les prévisions de Tepco. Tout l'enjeu réside donc dans le respect de ce calendrier.
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