mardi 12 mai 2015

Retour à Fukushima

Sur le chantier pharaonique du démantèlement, 
les hommes de Tokyo Electric commencent 
enfin à envisager l’avenir

Une région très animée 

On a rarement vu une « région-fantôme » plus encombrée que les alentours de la centrale Dai-Ichi de Fukushima. Le no man’s land subitement apparu au lendemain de la catastrophe nucléaire le 11 mars 2011 est l’endroit le plus frénétique du Japon. Certes, la centrale est toujours ceinte d’une zone interdite de trente kilomètres de diamètre dans laquelle on peut « se déplacer, mais pas rester dormir », comme le précise Tatsuhiro Yamagishi, porte-parole de Tokyo Electric, l’opérateur de la centrale. Mais dès la lisière de ce périmètre maudit, tous les hôtels de la région affichent complet. Des milliers d’ouvriers, d’ingénieurs et de cadres d’entreprises du génie civil nippon font la navette entre leur chambre et le chantier pharaonique du démantèlement. Le nettoyage et la reconstruction des alentours a déjà vidé le pays de sa main d’œuvre (le Japon compte aujourd’hui 4 offres pour 1 demande d’emploi dans le secteur du bâtiment). Une tâche de Sisyphe, absurde, puisque la région se vidait de ses habitants avant la catastrophe. Et que la centrale ne produira plus jamais d’électricité. « Il y a des routes que nous avons décontaminées, qui ont été recontaminées par les pluies, et que nous devons redécontaminer...», égrène Tatsuhiro Yamagishi avec une certaine lassitude.
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Un champ de bataille

Le site de la centrale est aussi déroutant qu’un gigantesque champ de bataille, parcouru par des centaines d’hommes masqués, en combinaison intégrale. Ils étaient 4000 travailleurs il y a six mois. Ils sont aujourd’hui près de 7000. Il règne pourtant une fragile sérénité sur le site. « Nous sommes enfin sortis de l’urgence. Je ne peux pas dire que je suis devenu optimiste. En revanche, pour la première fois depuis trois ans, nous pouvons envisager l’avenir », assure Akira Ono (photo), le responsable de la centrale. Un homme discret, à l’uniforme de la même couleur de muraille que ses employés. La raison de son calme : les Japonais ont peut-être enfin trouvé une solution pérenne de décontamination de l’eau de refroidissement des réacteurs endommagés. Chaque jour, ces derniers reçoivent en effet 400 tonnes d’eau, qui deviennent radioactives au passage et dont une partie fuit dans le sol et la mer. L’essentiel de cette eau est stockée dans des réservoirs. « Un réservoir peut stocker 1000 tonnes d’eau, ce qui veut dire que nous devons installer un réservoir tous les deux jours et demi », explique Shunichi Kawamura, en charge de la gestion des risques. Le site aligne aujourd’hui près de 1000 réservoirs, pour 500.000 tonnes d’eau contaminée. Mais après des mois de tâtonnements, Tepco semble avoir mis au point une structure intègre de traitement de cette eau. Cette dernière, baptisée ALPS 3, est en phase de test. ALPS 3 retirera 62 des 63 nucléides nocives que contient l’eau contaminée. Dans le même temps, Tepco met en place un « mur de glace » souterrain qui doit « geler » les fuites d’eau contaminée des réacteurs.

40 ans de travaux


La résolution de ce problème permettra de se concentrer sur le gros œuvre. Les ouvriers ont déjà retiré les 1331 barres de combustible nucléaire endommagées du réacteur 4 qui menaçaient d’une nouvelle contamination. Mais ça n’est qu’un début : le démantèlement des six réacteurs du site, notamment trois dont le cœur a fondu après la catastrophe du 11 mars, prendra quarante ans. Au moins. Les robots qui iront nettoyer les réacteurs 1,2 et 3 (à partir de 2025) au mépris de la radioactivité restent à inventer. « Nous ne savons pas où se trouve le combustible endommagé dans ces réacteurs », avoue Akira Ono. Le démantèlement de Fukushima devrait coûter 10.000 milliards de yens (69 milliards d’euros). L’accident a gelé, peut-être à jamais, les mises en chantier de nouvelles centrales. Il a réorienté la politique énergétique du pays vers davantage de renouvelable. « Fukushima a sans doute accéléré le mouvement de concentration entre les opérateurs d’électricité régionaux. Avoir tant d’opérateurs au Japon n’a plus aucun sens économique », estime un industriel du secteur.

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