FUKUSHIMA UN AN APRÈS
DANS LA ZONE INTERDITE
L’accident nucléaire a transformé une vaste région du Japon en zone maudite. Et les calamités de très longue durée ne se limitent pas au périmètre désormais interdit de 20 kilomètres autour de la centrale. 1 - Reportage dans la zone interdite et dans les zones périphériques évacuées. 2 - Mandaté par «L’illustré», le photographe Kosuke Okahara témoigne de l’angoisse qui règne dans le nord de l’île de Honshu.
L’IMPOSSIBLE GRAND NETTOYAGE
Le 11 mars 2011, un tsunami provoqué par un séisme sous-marin dévastait la côte orientale du nord du Japon. La vague endommageait une centrale nucléaire, engendrant la plus grave catastrophe nucléaire depuis Tchernobyl. Un an après, le Japon gère les conséquences du drame.
Dans l’histoire, il y aura un avant et un après Fukushima. Non seulement au Japon, mais aussi dans le monde entier. Car le tsunami qui a dévasté la côte nord de l’île de Honshu le 11 mars 2011 a détruit la centrale nucléaire de Fukushima. Cet accident sans précédent est en train de précipiter l’abandon de la filière nucléaire à l’uranium pour la production de l’électricité. L’Allemagne s’en passera dès 2022, la Suisse en 2034, l’Italie a renoncé à y revenir avec plus de 90% des voix lors d’un référendum en juin et même la très pronucléaire France abaissera sa part de production d’électricité nucléaire de 75 à 50% d’ici à 2025 si François Hollande devenait président.Pourtant, même si la catastrophe de Fukushima a soufflé un vent de changement, un an après le drame, rien n’a vraiment évolué sur place. Il y a quelques jours encore, 100 policiers de la préfecture de Miyagi cherchaient les corps d’enfants disparus d’une école d’Ishinomaki et 300 de leurs collègues fouillaient le long de la côte de la préfecture de Fukushima à la recherche de cadavres. C’est comme si on en était encore aux premières heures du passage de la vague géante qui aura fait, selon les derniers décomptes, 15 846 morts et 3320 disparus.
Pareillement, alors que les autorités japonaises assuraient que tous les réacteurs de la centrale endommagée de Fukushima Daiichi étaient en état d’arrêt à froid, les thermomètres s’affolaient dans le réacteur 2 et des taux de césium 134 et 137 nettement plus élevés que les jours précédents étaient mesurés sur le site à la mi-février. A croire que l’emballement de la centrale n’est toujours pas maîtrisé. «La situation du réacteur 2 est en effet peu claire», constate Walter Wildi, ancien président de la Commission fédérale de sûreté des installations nucléaires et professeur à l’institut Forel de l’Université de Genève. «Il y a eu une fusion partielle du cœur. Il se produit peut-être un nouveau foyer de réactions entre des parties de ce cœur. On a mesuré des radio-isotopes à l’extérieur, mais pas en très grande quantité. Les réacteurs 1 et 3 sont en revanche manifestement en arrêt à froid. On ne peut donc quand même pas comparer la situation actuelle avec celle de l’an passé. Elle est nettement meilleure aujourd’hui.»
LE FOND OCÉANIQUE BÉTONNÉ
En fait, nous ne sommes pas en l’an 2012, mais plutôt en l’an 1 après Fukushima. «Beaucoup de choses ont été réalisées, observe Laurent Horvath, économiste valaisan spécialisé dans les énergies, qui tient un blog quasi journalier depuis le début de la catastrophe (www.2000watts.org). Mais rien que le démantèlement de la centrale prendra quarante ans. Nous ne sommes qu’au début d’un très long processus.»Une catastrophe nucléaire change l’échelle habituelle du temps, puisque l’environnement se retrouve souillé de particules dont les émissions radioactives ne disparaissent qu’après plus d’une centaine, voire de milliers d’années. Elle transforme aussi notre rapport aux radiations. Alors que le seuil autorisé pour le public est normalement de 1 mSv (millisievert) par an, il a été relevé à 20 mSv au Japon, soit la dose maximale autorisée pour un travailleur du nucléaire en temps normal. Pour ces derniers, la limite a été repoussée à 100 mSv. Une catastrophe nucléaire transforme notre rapport au monde: ne pas relever le taux de radioactivité autorisé reviendrait, en schématisant, à quitter le pays…
Des dizaines de millions de tonnes de débris consécutifs au tsunami ont été collectés et triés en un temps record. Des milliers de logements provisoires bâtis. Des sangliers et des singes sont maintenant envoyés dans des zones proches de la centrale pour collecter des données sur la radioactivité. Devant les réacteurs de Fukushima, le plancher sous-marin va être bétonné sur près de 75 000 m2 pour tenter d’éviter une partie de la contagion radioactive de l’océan. Malgré cela, tout reste encore à faire. Personne n’a pu revenir s’établir dans la zone évacuée des 20 km. Les rares paysans qui s’y rendent, refusant d’abandonner leurs bêtes, sont soumis à des radiations de l’ordre de 10 à 15 mSv/h (millisievert par heure). Les observateurs ont relevé des taux de 400 mSv/h près des bâtiments de la centrale et de plus de 1500 à l’intérieur des bâtiments. «Mais les cartes de contamination des sols montrent que celle-ci se fait en patchwork, un phénomène déjà observé à Tchernobyl, observe Walter Wildi. Portées par le vent, les particules se déposent au gré des courants et des averses. On trouve ainsi des zones fortement radioactives à 200 km de la centrale et des endroits moins contaminés bien plus près.»
10 000 PISCINES DE TERRES RADIOACTIVES
Au-delà de la zone interdite, le gouvernement japonais a commencé à faire décontaminer les sols, notamment dans les parcs, les cours d’école ou autour des bâtiments publics. Ces 10 centimètres de terre à raboter représentent un titanesque labeur de fourmi, effectué parfois dans la confusion. Un journaliste du New York Times a ainsi constaté le dépit d’ouvriers à Iiate, à 30 km de la centrale de Fukushima. «Nous sommes tous des amateurs», déploraient ces héros maudits. Comment d’ailleurs ne pas être dépassé par l’ampleur de la tâche? Le Ministère japonais de l’environnement estimait à 29 millions de mètres cubes la terre à évacuer. L’équivalent de 406 terrains de football recouverts d’une couche de 10 mètres d’épaisseur ou encore le contenu de 10 000 piscines olympiques!Tout le Japon est touché par la catastrophe. Pour la première fois depuis trente et un ans, le pays a connu un déficit commercial en 2011. Et le gouvernement a déjà dû débloquer plus de 200 milliards d’euros pour la reconstruction.
5% DE CANCERS CHEZ LES JEUNES FILLES
Sur place les attitudes sont contrastées. «Je ne vous cache pas que nous sommes en train de penser à rentrer», glisse Olivier Rumley. Ce Vaudois qui travaille pour la filiale japonaise du groupe Matisa vit à Tokyo depuis cinq ans avec son épouse japonaise et ses deux enfants. «On fait attention à tout ce qu’on mange, dit-il. On achète des œufs et du lait de l’île de Kyushu, dans le sud du Japon, de l’eau de Corée, de la viande de Nouvelle-Zélande. C’est surtout pour les enfants que l’on est en souci.» Les radiations sont en effet plus néfastes pour les jeunes en croissance et notamment les filles. «Un taux de développement de cancer de 5% par an chez les jeunes filles a été jugé acceptable par les autorités japonaises, remarque Laurent Horvath. Honnêtement, si j’étais sur place, moi je quitterais le pays.»Mais dans l’Empire du Soleil levant le fatalisme domine. Une sorte de résilience collective pour apprivoiser la catastrophe. «Je faisais attention à ce que je mangeais au début, mais c’est trop compliqué», constate Jean-Marc Good. Doctorant en neurosciences à la faculté de médecine de l’Université de Tokyo, le Vaudois poursuit ses recherches. «Personne ne connaît les effets de la radioactivité à faible dose sur l’organisme, mais ça ne doit pas être si terrible, philosophe-t-il. A un moment donné, il faut choisir entre arrêter de s’inquiéter ou quitter le pays. Mes collègues japonais n’ont pas changé de manière de vivre.»
LA RADIOACTIVITÉ AU SECOND PLAN
Si, vu d’Europe, le péril nucléaire semble la crainte la plus grande, au Japon les choses sont vécues différemment. «Pour beaucoup, la radioactivité passe au second plan, remarque Olivier Rumley. Certains ont perdu leur travail, leur maison, sont dans une situation économique très difficile, ce n’est pas leur première préoccupation.» Dans la capitale japonaise, la crainte se focalise ainsi davantage sur le prochain tremblement de terre annoncé. «Un rapport qui vient de paraître prédit avec une probabilité de 70% un séisme de plus de 7 sur l’échelle de Richter à Tokyo dans les quatre ans, poursuit Jean-Marc Good. Ici, les gens parlent plus de cela.»A Fukushima City, 60 km à l’ouest de la centrale endommagée, les habitants aussi ont repris une vie normale. «Les gens s’habituent à cette situation», observe Annerose Matsushita-Bader, qui y a rendu visite à son mari en janvier dernier. Les agriculteurs continuent de produire. «Bizarrement, certains ont dû arrêter, comme des cultivateurs d’arbres fruitiers ou de champignons, et ont été partiellement dédommagés, alors que d’autres travaillent comme avant. Un fermier avec qui j’ai discuté continue ainsi de produire ses œufs.» De nombreux contrôles, des dizaines de décrets ont été promulgués pour assurer le suivi sanitaire des denrées alimentaires, ce qui n’empêche pas les scandales d’éclater: viande contaminée au césium dans des magasins de Tokyo ou du riz dans la commune d’Onami.
LE SORT DES LIQUIDATEURS EN QUESTION
Ce dont on ne parle jamais, c’est le sort des fameux liquidateurs, les 3000 travailleurs de la centrale de Fukushima. Selon le gouvernement, aucun ne souffrirait des irradiations. Mais les rumeurs et témoignages d’anciens employés prétendent que 200 d’entre eux seraient déjà morts et que leurs corps, trop irradiés, ne pouvaient même pas être rendus à leur famille. «C’est un élément tabou là-bas, confirme Annerose Matsushita-Bader. Personne n’en parle jamais. Même les médias sont muets.»Au-delà de la résilience japonaise, la résistance la plus manifeste touche l’utilisation du nucléaire. Plusieurs manifestations ont réuni des milliers de personnes contre l’atome. Seules trois centrales nucléaires sur les 54 du pays demeurent en activité. Et aucune de celles arrêtées n’a pu être remise en activité, se heurtant à chaque fois aux résistances des communautés locales.
Le Japon est entré dans une nouvelle ère. Une nouvelle ère certainement sans nucléaire mais pleine de périls et d’incertitudes.
Les sols sont contaminés jusqu’à plus de 200 km de la centrale
Les poussières radioactives s’échappant des réacteurs de Fukushima sont en partie retombées sur les sols. Leur répartition et leur concentration ont été dictées par les vents et les pluies. Quand la contamination atteint 1000 kilobecquerels par mètre carré (kBq/m2), la population est évacuée. En guise de comparaison, on a mesuré dans le sud du Tessin, la région de Suisse la plus contaminée par Tchernobyl, 26 kBq par mètre carré.Plus de 80% des poussières radioactives sont dans l’océan
La plus grande quantité de rejets radioactifs est tombée dans l’océan Pacifique, à l’est du Japon. Les courants ont dilué cette pollution. Mais une partie est entrée dans la chaîne alimentaire de la faune marine.
Après Fukushima les morts se multiplient
RépondreSupprimerLeucémies, pneumonies, saignements de nez, des diarrhées, de la toux, des thyroïdes enflées.
Même la famille impériale est touchée.