http://fukushima.eu.org/fukushima-des-defis-insurmontables/
ACRO.eu.org
Cela fait quatre ans que la catastrophe nucléaire japonaise a
commencé. Après l’urgence et les mesures d’ajustement et de
restructuration, aussi bien la compagnie TEPCo, qui exploitait la
centrale, que les autorités se sont installées dans un chantier à long
terme. Les défis sont immenses, tant au niveau de la centrale qui reste
menaçante que dans les territoires contaminés où la population
s’interroge sur son avenir, mais le pays y fait face avec les anciens
réflexes de dissimulation et d’autoritarisme qui ne font qu’aggraver la
situation.
L’été 2013 avait été marqué par une suite de scandales sur les fuites
d’eau contaminée qui ont secoué le Japon, avec un fort retentissement
médiatique international. Le Premier ministre japonais, Shinzô Abé, a
pris le dossier en main et a déclaré devant le Comité olympique, où il
défendait la candidature de Tôkyô, que la situation était
« sous contrôle »
et que la pollution radioactive était bloquée dans le port devant la
centrale. Plus tard, devant le parlement, il précisera que
« les effets de la radioactivité » sont bloqués dans le port, sans préciser ce qu’il entendait par
« effets ».
Plus de 18 mois plus tard, force est de constater que la situation
n’est pas sous contrôle et l’eau contaminée reste le principal cauchemar
de TEPCo.
La bataille de l’eau contaminée
Avant la catastrophe nucléaire, TEPCo pompait, chaque jour, environ 1 000 m
3
d’eau souterraine pour rabattre la nappe phréatique et éviter les
infiltrations dans les sous-sols des réacteurs nucléaires. Ce pompage
s’est arrêté avec la catastrophe et environ 400 m
3 d’eau
souterraine y pénètrent chaque jour et se mélangent à l’eau de
refroidissement fortement contaminée. Cette eau est stockée et TEPCo
doit ajouter une cuve tous les deux jours. Il y a plus d’un millier de
cuves sur le site de la centrale.
Inversement, de l’eau contaminée passe des sous-sols vers la nappe
phréatique avant de rejoindre l’océan. Les fuites en mer, estimées à la
louche à 300 m
3 par jour, continuent. TEPCo s’est engagée dans une bataille pour
« contrôler » la situation où elle enregistre peu de victoires.
Première idée, reprendre les pompages, mais l’eau près des réacteurs
est fortement contaminée. Alors la compagnie a décidé de pomper plus en
amont où la contamination est moindre. Mais, il lui a fallu un an pour
convaincre les pêcheurs qui ont fini par accepter, en mars 2014, que
cette eau soit rejetée dans l’océan. Il aura fallu du temps à la
compagnie pour accepter un contrôle de l’eau par un laboratoire tiers.
En régime de croisière, ce sont entre 300 et 350 m
3 qui
sont ainsi rejetés quotidiennement en mer. La contamination en tritium
(hydrogène radioactif) ne doit pas dépasser 1 500 Bq/L et celle en bêta
total (hors tritium) 5 Bq/L. TEPCo avait annoncé une diminution attendue
des infiltrations de 100 m
3 par jour mais les effets ont mis
du temps à se manifester. Ce n’est qu’à l’automne 2014 que la compagnie
a pu observer une baisse de 50 à 80 m
3 par jour en données corrigées des variations saisonnières. L’eau contaminée continue donc à s’accumuler jour après jour.
En parallèle, sur injonction des autorités, la compagnie a commencé à
installer un système destiné à geler le sol tout autour des réacteurs
accidentés pour limiter les échanges. C’est le gouvernement qui paye. En
amont, les travaux progressent vite, mais, en aval, il y a de
nombreuses galeries souterraines qui vont vers la mer. TEPCo a essayé,
pendant des mois, d’en geler une à titre expérimental, mais cela n’a pas
pris. Elle a eu beau rajouter de la glace, puis de la glace carbonique,
rien n’y a fait, l’eau circulait toujours. Elle a ensuite tenté de
cimenter la partie qui ne gelait pas, sans plus de succès. Elle a enfin
décidé de remplir les galeries de ciment, mais il y a de nombreux câbles
et tuyaux et il est peu probable que ce soit complètement étanche.
Le stockage de l’eau contaminée n’est pas durable. Une première
station de traitement, Sarry, retire le césium, mais cela ne suffit pas.
Une nouvelle station, ALPS, doit retirer 62 radioéléments, mais elle
cumule les déboires. Les performances n’étaient pas toujours au niveau
attendu et elle génère d’énormes quantités de déchets. TEPCo s’était
engagée, en septembre 2013, après les scandales de l’été et les
déclarations du premier ministre, à traiter tout son stock avant mars
2015. Il est rapidement apparu que ce ne serait pas possible. Elle a
donc ajouté de nouvelles unités qui ne retirent que le strontium, très
radiotoxique, en plus du césium. Mais, finalement, même en prenant en
compte cette décontamination partielle, elle ne pourra pas tenir ses
engagements. TEPCo affirme maintenant pouvoir y arriver en mai de cette
année pour le strontium et en mai 2016 pour les autres radioéléments.
Même partiellement décontaminée, cette eau s’accumule dans des cuves.
En cas de fuite importante, l’impact serait moindre, mais cela ne
résout pas le problème du stockage à long terme. En effet, le stock
total de tritium contenu dans les cuves, les combustibles, les
sous-sols, et qui n’est pas retiré par les différentes stations de
traitement, correspond à environ 150 ans de rejets en mer à la limite
maximale autorisée. Pour déverser cette eau dans l’océan – le rêve de
TEPCo et des autorités – il faudrait changer les autorisations de rejet,
ce qui semble politiquement impossible.
La dernière carte de TEPCo consiste finalement à pomper l’eau
souterraine au pied des réacteurs. Mais elle est très contaminée. La
compagnie veut donc la traiter et la rejeter directement en mer. Elle
tente d’obtenir l’accord des pêcheurs, en vain pour le moment.
A l’automne dernier, une majorité des 6 000 personnes qui
travaillaient chaque jour sur le site de la centrale accidentée était
engagée dans la bataille de l’eau contaminée. Ce chiffre est passé à 7
000 par jour et cela ne suffit toujours pas car la culture de la
compagnie n’a guère changé. La pénurie de main d’œuvre qualifiée et la
sous-traitance en cascade aggravent la situation. Depuis le début de la
catastrophe, 40 000 personnes ont travaillé sur le site de la centrale
accidentée.
TEPCo avait découvert, en janvier 2014, que la contamination de l’eau
de pluie évacuée vers la mer était particulièrement élevée dans un
drain. Elle a prévenu l’autorité de régulation nucléaire, la NRA, qui
lui a demandé de trouver la cause. La compagnie a d’abord suspecté la
contamination des sols : elle les a donc couverts, a nettoyé les drains,
et multiplié les contrôles, mais la contamination de l’eau n’a pas
baissé. TEPCo n’a rien dit à personne. Elle n’a pas signalé non plus que
la contamination augmentait avec la pluie. Ce n’est qu’en février 2015,
suite une autre fuite qui a déclenché une alarme, qu’elle a averti la
NRA.
Suite aux fuites qui ont fait scandale par le passé, TEPCo contrôle
l’eau de pluie récoltée autour des cuves et a mis des alarmes sur les
drains qui s’écoulent vers le port, mais n’a pris aucune mesure
particulière pour le drain où l’eau était particulièrement contaminée,
qui lui, se jette directement dans l’océan, sans passer par le port où
la compagnie a installé des barrières pour limiter les transferts.
Comment TEPCo peut prétendre être très précautionneuse en surveillant
l’eau pompée avant rejet dans l’océan et d’un autre côté être si
négligente pour cette eau de pluie ? La compagnie a encore des progrès à
faire en terme de culture de sûreté. Les pêcheurs sont furieux et se
sentent trahis. Comme d’habitude, la compagnie s’est excusée pour
l’inquiétude créée, alors que ce n’est pas le seul scandale dû à la
négligence.
La menace des piscines de combustible
Les piscines de combustible usé ont inquiété au début de la
catastrophe nucléaire car elles ne sont pas protégées par l’enceinte de
confinement. Si une secousse sismique ou une explosion provoquait une
fissure et qu’il n’était plus possible de refroidir le combustible, il
aurait fondu et dégagé une énorme quantité de radioéléments. La première
semaine, le premier ministre avait sur son bureau le scénario du pire
qui consistait en la fusion des combustibles de la piscine n°4, la plus
chargée. Une estimation rapide avait montré qu’il aurait alors fallu
évacuer jusqu’à environ 250 km de la centrale et donc probablement une
partie de l’agglomération de Tôkyô. Le renforcement de la structure de
soutènement de la piscine n°4 avait été une priorité dans les premiers
mois.
TEPCo a fini de vider cette piscine le 20 décembre dernier. C’est une
belle prouesse. Les combustibles usés sont dans la piscine commune de
la centrale de Fukushima daï-ichi, qui est au niveau du sol. Les
combustibles neufs sont dans la piscine du réacteur n°6.
Pour cela, la compagnie a dû démanteler toute la partie haute du
bâtiment réacteur et reconstruire une structure neuve par dessus le
tout. Le réacteur n°4, dont le cœur était entièrement déchargé en mars
2011, ne constitue donc plus une menace et son démantèlement se fera
plus tard. Réduire la menace des autres réacteurs est la priorité.
La compagnie va s’attaquer aux trois autres réacteurs accidentés, en
commençant pas le réacteur n°3 qui est très endommagé et dont la piscine
contient du combustible MOx, très chargé en plutonium. Contrairement au
réacteur n°4, il y a eu fusion des cœurs dans les réacteurs 1 à 3 et le
débit de dose ne permet pas aux êtres humains d’y travailler.
TEPCo a commencé à démanteler le réacteur n°3 à l’aide de grues
télécommandées. Cela n’a pas été sans incidents, mais elle a fini pour
la partie haute. Le débit de dose y est si élevé qu’il faut trouver un
moyen de l’atténuer suffisamment avant de construire une nouvelle
structure tout autour. Ce n’est pas gagné pour le moment.
Contrairement au réacteur n°4, le démantèlement du n°3 a conduit à
des rejets conséquents de poussières radioactives qui ont été détectées à
grande distance. En août 2013, ces dégagements ont même conduit au
déclenchement d’alarmes de surveillance et à la contamination de
travailleurs qui attendaient le bus. Il faudra à TEPCo du temps pour
soupçonner les poussières comme étant la cause des problèmes. L’incident
semblait clos. Mais, en juillet 2014, le ministère de l’agriculture
révèle que du riz récolté à Minami-Sôma à l’automne 2013 était contaminé
au-delà de la limite de mise sur le marché, alors que ce n’était pas le
cas l’année précédente. Le ministère soupçonne les retombées de
poussières émises lors du démantèlement du réacteur n°3 durant l’été
2013. Les rizières affectées sont au-delà de la zone d’évacuation de 20
km.
Des rejets dissimulés
Le maire et les habitants de Minami-Sôma sont furieux, car ni TEPCo,
ni le gouvernement, ne leur ont signalé les retombées radioactives sur
la commune. On apprendra plus tard que ce sont des chercheurs de
l’université de Kyôto qui ont alerté les autorités : ils contrôlaient la
contamination des aérosols à Fukushima et ont détecté plusieurs pics de
pollution radioactive. Le ministère a fait le lien avec le riz
contaminé et a abordé ce problème avec TEPCo en mars 2014 sans prévenir
la commune.
TEPCo a fini par reconnaître que le 19 août 2013, les travaux de
démantèlement sur le réacteur n°3 ont entraîné un rejet aérien de 4
térabecquerels (4 000 milliards de becquerels), ce qui est 10 000 fois
plus que les rejets habituels. Rien sur les autres pics. Ce chiffre sera
revu à la baisse des mois plus tard. Et il faudra attendre le 31
décembre 2014 pour découvrir le pot aux roses : contrairement au
réacteur n°4, TEPCo a négligé d’asperger une résine pour fixer les
poussières avant de démanteler. Et quand cette résine, généralement
utilisée pour fixer les poussières d’amiante, était aspergée, la
dilution du produit était trop forte. Pour le fabricant, c’est comme
avoir aspergé de l’eau. Suite aux problèmes, TEPCo a repris les
procédures normales à partir d’octobre 2013, sans rien dire à personne.
Pas vu pas pris. Les mauvaises pratiques auront duré presque un an ! La
compagnie n’a pas été punie, mais s’est excusée pour l’inquiétude
provoquée.
Cette affaire a entraîné un
« glissement du calendrier » des
travaux sur le réacteur n°1. Il est donc difficile de savoir quand les
autres piscines seront vidées. Au-delà des piscines, il y a le
combustible fondu qui a percé la cuve des réacteurs et qu’il faut
continuellement refroidir en l’arrosant. TEPCo ne sait pas où il est
exactement. La réduction de la menace que représentent les réacteurs
accidentés va prendre des décennies. Après, la compagnie pourra
envisager le démantèlement. Se pose aussi le problème des déchets
radioactifs pour lesquels le Japon n’a aucune solution à proposer.
En attendant, l’environnement plus ou moins proche de la centrale
nucléaire peut à nouveau être fortement contaminé suite à un accident.
Que se passera-t-il en cas de forte secousse ou de nouveau tsunami ?
Même sans accident, il est fort probable qu’il y ait encore des rejets
intempestifs qui viennent s’ajouter aux rejets de routine. Chikurin, le
laboratoire citoyen monté à Tôkyô avec le soutien de l’ACRO, a mis au
point une méthode de prélèvement des poussières facile à mettre en œuvre
à l’aide d’un simple linge suspendu. Elle a été comparée à des méthodes
plus lourdes, avec préleveur automatique et filtre, et donne des
résultats comparables.
Ces rejets inquiètent les habitants qui ne sont pas prêts à rentrer,
même si, officiellement, ce ne sont plus ces retombées radioactives qui
auraient contaminé le riz de Minami-Sôma. Mais les autorités n’ont
aucune autre explication.
Le retour des populations
Il y a encore officiellement presque 120 000 personnes évacuées à
cause de la pollution radioactive. L’indemnisation coûte cher aux
autorités qui avancent l’argent à TEPCo. Elles rêvent donc d’une
catastrophe réversible avec un retour des populations. L’ordre d’évacuer
a été levé dans deux districts et l’indemnisation se tarira un an plus
tard.
Le gouvernement a divisé la zone évacuée en trois sous-zones en
fonction du débit de dose. Il prévoit un retour rapide dans celle où
l’exposition est inférieure à 20 millisieverts par an. Cela correspond à
la limite fixée pour l’évacuation en 2011. A l’époque, le Japon s’était
vanté d’avoir choisi la valeur la plus basse des recommandations
internationales. Mais la phase d’urgence est terminée depuis longtemps.
Il est alors recommandé de fixer des niveaux de référence dans la partie
basse de l’intervalle de 1 à 20 mSv/an.
Le Japon est en train de comprendre que la transition entre la
situation d’urgence et la gestion à long terme des territoires
contaminés est complexe. Comment passer d’un intervalle d’exposition
maximale autorisée situé entre 20 et 100 mSv à la partie basse de
l’intervalle de 1 à 20 mSv ? Les radioéléments comme le césium
décroissent lentement. Le débit de dose moyen n’a diminué que de 40% en
moyenne la première année au Japon et les travaux de décontamination se
sont révélés très décevants.
Le Japon a bien adopté un retour à une limite de 1 mSv/an, mais sans
donner de calendrier. La politique actuelle de retour des populations
dans les zones évacuées est toujours basée sur une limite annuelle de 20
mSv/an choisie au moment de l’évacuation. Cette limite n’avait pas été
acceptée par beaucoup au moment de l’urgence et elle n’est toujours pas
acceptée pour le retour. Ainsi, de nombreuses personnes ne souhaitent
pas rentrer, surtout quand il y a de petits enfants. Mais si le Japon
adoptait une limite de retour plus basse, les populations non évacuées
ne comprendraient pas et se sentiraient abandonnées.
Ces doses annuelles sont estimées en supposant que les personnes
passent en moyenne 8 heures par jour dehors et 16 heures par jour à
l’intérieur où l’exposition serait réduite de 60%. Ainsi, 1 mSv par an
correspond à 0,23 microsievert par heure quand on ajoute le bruit de
fond naturel de 0,04 microsievert par heure. Cela peut être mesuré
directement avec un radiamètre. 20 mSv se traduisent par une limite de
3,8 microsieverts par heure par la même méthode. C’est cette valeur qui a
été utilisée pour l’évacuation. Et c’est encore elle qui est retenue
pour le retour.
Face à cette situation complexe, les autorités pensent avoir trouvé
la parade : distribuer à chacun des « glass-badges », c’est à dire des
dosimètres individuels, pour apprendre à vivre en territoire contaminé
et limiter l’exposition en faisant attention. Il est alors possible
d’avoir une dose reçue moins élevée que celle estimée précédemment. La
ville de Daté s’est fixé une limite à 5 mSv mesurés par ces
« glass-badges » et le maire met en avant le succès de l’opération.
Tous les élus ne sont pas convaincus et le conseil municipal a
organisé, en janvier 2015, un séminaire avec un représentant de
l’association Fukurô-no-kaï et le fabriquant du dosimètre, Chiyoda
Technology. Lors de la réunion, le représentant associatif a souligné
les limites de la méthode : il importe de protéger chacun. On ne peut
pas se contenter de moyenne, comme le font les autorités. Par ailleurs,
ces dosimètres sous-estiment la dose quand on vit dans un environnement
entièrement contaminé. Lors de la réunion, le directeur de Chiyoda
Technology a reconnu les faits et s’est excusé de ne pas l’avoir
signalé. Suite à la parution d’un compte-rendu dans la presse, le site
Internet de la compagnie reconnaît que les dosimètres sous-estiment la
dose reçue de 30 à 40%. L’IRSN, qui commercialise ces dosimètres en
France et accompagne le maire de Daté dans le cadre d’Ethos in
Fukushima, n’aurait pas jugé utile d’apporter cette information ?
Pas étonnant que les habitants hésitent à rentrer. Est-ce cela
l’avenir que l’on veut proposer à ces enfants ? Tout contrôler, ne pas
s’aventurer au-delà des zones non décontaminées… Selon l’Agence de la
reconstruction, qui a sondé les habitants des territoires évacués de la
province de Fukushima entre août et octobre 2014, seulement 19,4% des
habitants de Namié originaires d’une zone où l’ordre d’évacuer va être
levé, car l’exposition externe y est inférieure à 20 mSv par an, veulent
rentrer. C’est 14,7% dans la même zone à Tomioka. Il s’agit souvent des
personnes les plus âgées.
Pour les zones de « non-résidence », où l’exposition externe avant
les travaux de décontamination est comprise entre 20 et 50 mSv par an,
ces pourcentages descendent à 16,6% pour Namié et 11,1% pour Tomioka.
Enfin, pour les zones classées en « retour difficile » car l’exposition
externe avant décontamination y est supérieure à 50 mSv par an, 17,5%
des personnes concernées à Namié espèrent pouvoir rentrer un jour. C’est
11,8% pour Tomioka.
Il faut donc s’adapter. Avant la catastrophe, il y avait 5 lycées
dans les 8 communes évacuées du district de Futaba avec 1 500 élèves.
Les cours continuent dans les villes refuge, mais il n’y avait plus que
337 élèves inscrits en mai 2014, juste après la rentrée scolaire. Un
nouveau lycée va ouvrir à Hirono à la rentrée prochaine, en avril 2015, à
la place des 5 lycées abandonnés qui fermeront officiellement en avril
2017. Il y aura un pensionnat car les enfants vivent loin du futur
lycée.
Deux cliniques qui étaient en zone évacuée, dans le district d’Odaka à
Minami-Sôma et à Namié, vont licencier le personnel car les
indemnisations de TEPCo s’arrêtent. Seuls les directeurs restent en
poste pour trouver une façon de rouvrir. 45 personnes dans chaque
clinique vont perdre leur emploi. Deux autres cliniques ont déjà fermé
définitivement après la catastrophe nucléaire. Minami-Sôma espère lever
l’ordre d’évacuer en avril 2016 et Namié en 2017. S’il n’y a plus de
services de soins, le retour sera plus difficile.
Les autorités se doivent de laisser le choix aux populations quant à
leur retour, sans discrimination, et les aider à refaire leur vie, quel
que soit le lieu de résidence choisi. Au-delà du rétablissement de
conditions de vie digne, se pose, à plus long terme, le problème du
devenir des territoires et des immenses volumes de déchets radioactifs.
Les déchets radioactifs
Que ce soit en territoires évacués ou en zone contaminée, les déchets
radioactifs issus des travaux de décontamination s’accumulent. A
Fukushima, il devrait y en avoir 30 millions de mètres cube. Les
autorités veulent les entreposer sur un site de 16 km
2 qui
entoure la centrale de Fukushima daï-ichi dans les communes d’Ôkuma et
Futaba. Pour vaincre la réticence des habitants, les autorités se sont
engagées, par la loi, à reprendre ces déchets au bout de 30 ans pour les
stocker définitivement en dehors de la province de Fukushima. Qui peut
croire qu’il sera possible de trouver un site et de transporter à
nouveau 30 millions de mètres cube ? Le nombre de voyages en camion pour
apporter ces déchets se compte aussi en millions. Si les autorités
locales ont donné leur accord, les propriétaires des terrains refusent
de vendre ou même de louer. Le processus est bloqué. Un sondage effectué
en avril 2014 a montré que 82,7% des habitants de Fukushima ne croient
pas à cette fable des 30 ans. Le gouvernement n’a donné aucune piste sur
la façon dont il compte s’y prendre.
Dans les autres provinces aussi la situation est bloquée. Le
gouvernement a trouvé des sites de stockage définitif cette fois-ci mais
les riverains et les maires des communes proches s’y opposent. Ils ont
barré l’accès aux ingénieurs venus étudier les terrains.
Même en temps normal, il est difficile de trouver un site d’accueil
pour les déchets radioactifs. Après un accident de grande ampleur, c’est
encore plus difficile car les populations ont moins confiance dans les
autorités et le volume de déchets est beaucoup plus grand. Le
gouvernement maintient sa politique traditionnelle qui consiste à
« décider, annoncer et défendre ».
Le précédent ministre de l’environnement avait expliqué que l’argent
viendrait à bout des réticences. Les faits lui donnent tord. L’accord
des élus locaux ne suffit pas.
En attendant, les déchets s’accumulent partout. Il y a plus de 54 000
sites d’entreposage temporaire. A Iitaté, par exemple, ils couvrent un
tiers des 800 hectares de surfaces agricoles. Souvent, le bail pour
l’utilisation du terrain arrive à échéance sans qu’il y ait de solution
en vue. Dans les zones non évacuées, les maires et les populations ne
veulent pas garder les déchets et souhaitent leur départ au plus vite.
Des enfants ont été vus jouer sur ces montagnes de sacs radioactifs.
Parfois, l’emballage ne tient pas.
La catastrophe au quotidien
Au-delà de ces défis insurmontables, tout le parc nucléaire japonais
est à l’arrêt complet depuis septembre 2013. Seuls quatre réacteurs ont
vu leur dossier de sûreté validé et il n’y aura probablement pas de
redémarrage avant l’été. D’un autre côté, 5 réacteurs anciens devraient
être officiellement arrêtés définitivement. Ce n’est qu’un début. Dans
ce contexte, le gouvernement peine à définir sa politique énergétique,
même s’il s’est engagé à rendre sa copie avant la conférence sur le
climat de Paris.
Mais ce sont surtout les populations qui souffrent. Il y a encore 120
000 évacués de la catastrophe nucléaire qui ne savent de quoi leur
avenir sera fait. Beaucoup vivent encore dans des préfabriqués peu
confortables. Les familles sont parfois éclatées. Que faire quand les
indemnisations s’arrêteront ? Dans les territoires contaminés, les
enfants ne jouent plus dehors.
Et il y a les cancers de la thyroïde qui sont source d’inquiétude.
L’université médicale de Fukushima, mandatée par les autorités, a
ausculté une première fois la thyroïde de 368 000 enfants. Parmi eux, 86
enfants avaient un cancer confirmé et 23 autres suspecté. Des examens
complémentaires sont en cours. Il y a un cas qui s’est révélé être bénin
après l’intervention chirurgicale. Le taux d’occurrence observé est
beaucoup plus élevé à Fukushima qu’ailleurs au Japon ou dans d’autres
pays. En effet, cela fait environ 30 cas sur 100 000 enfants, contre 1,7
cas sur 100 000 enfants à Miyagi.
Les autorités médicales affirment cependant que ce n’est pas lié à la
catastrophe nucléaire, mais au dépistage systématique. Si c’est le cas
et que les cancers ne se seraient pas déclarés avant des années,
fallait-il effectuer les interventions chirurgicales ? Les cancers
papillaires de la thyroïde ne se développent pas toujours et les enfants
auraient peut-être pu vivre longtemps en bonne santé avec leur glande.
Une fois opérés, ils ont une cicatrice au cou et certains doivent
prendre des médicaments toute leur vie. Des experts critiques réclament
donc que les autorités régionales, qui mènent ce programme, rendent
publiques les informations relatives à la glande après chirurgie et au
niveau de progression du cancer. L’université de Fukushima refuse pour
préserver la confidentialité des données patients et les autorités
régionales n’ont pas le pouvoir d’accéder au dossier médical.
Les autorités régionales de Fukushima ont entamé la deuxième vague de
dépistage du cancer de la thyroïde chez les 385 000 enfants de la
province. 8 enfants sur 75 000 chez qui l’on n’avait pas détecté de
cancer lors de la première échographie sont suspectés d’avoir un cancer
après un deuxième examen. Parmi eux, il y a un cas confirmé. Les 7
autres vont subir d’autres examens médicaux. Ils avaient entre 6 et 17
ans au moment des rejets radioactifs massifs. Les tumeurs font entre 6
et 17,3 mm. Ces enfants étaient classés dans les catégories A lors du
premier dépistage, signifiant « pas de problème ».
Par ailleurs, sur les 75 000 enfants ayant subi une deuxième
échographie de la thyroïde, 611 sont classés B et vont subir des examens
complémentaires. Parmi eux, 441, ou 72,2%, avaient été classés A lors
de la première campagne. Le nombre de cas de cancer pourrait
malheureusement augmenter encore… L’inquiétude des populations est donc
sans fin.
La catastrophe ne fait que commencer
Force est de constater que la catastrophe ne fait que commencer. Les
défis auxquels fait face le pays sont immenses. Même en temps normal, il
n’est pas simple de démanteler une installation nucléaire ni de trouver
une solution pour les déchets. Les fuites d’eau contaminée sont
difficiles à colmater dans un environnement si hostile. Les problèmes
sont exacerbés après une catastrophe et des populations souffrent. Mais
ni TEPCo ni le gouvernement n’ont changé. Les excuses répétées n’y
changent rien. Selon un sondage récent, 71% des habitants de Fukushima
ne sont pas satisfaits par la gestion de la crise par le gouvernement et
TEPCo.
La compagnie fait preuve de négligences si elle n’est pas contrôlée
strictement. Les quelques exemples présentés ici affectaient l’extérieur
du site et sont donc connus. Il y a beaucoup d’autres problèmes qui
restent internes. Des ouvriers ont, par exemple, actionné le mauvais
interrupteur et mis en marche une pompe de secours qui a déversé de
l’eau contaminée dans un sous-sol. Il leur a fallu plus d’un mois pour
se rendre compte de la bourde. Deux ouvriers sont décédés en janvier et
la compagnie a dû revoir toute la sécurité des travailleurs. Dans de
telles conditions, comment peut-elle prétendre pouvoir exploiter du
nucléaire à sa centrale de Kashiwazaki-Kariwa ?
Quant au gouvernement, il est toujours dans sa stratégie
« décider, annoncer, défendre »
qui laisse peu de place à la concertation alors qu’il lui faudrait être
plus à l’écoute des populations et inventer de nouvelles formes de
démocratie plus participatives. Car les initiatives citoyennes sont
nombreuses et ne demandent qu’à être reconnues et encouragées. Dans les
années à venir, de nouvelles difficultés vont surgir avec la fin de
l’indemnisation des victimes sans que les problèmes soient réglés.
Toutes ces informations sont détaillées sur le site Fukushima.eu.org